"l'Homme est-il un monstre ou le monstre un Homme?" |
Commençons par un aveu de taille: votre serviteur est tout sauf un
fan de Guillermo del Toro; Hellboy me rebute, Le Labyrinthe de Pan m'indiffère
et je suis allergique à Pacific Rim.
Partant de ce postulat, c'est avec la plus grande méfiance que l'on
accepte d'entrer en salle pour laisser à Guillermo le bénéfice du doute. Après
tout, sur un malentendu, Crimson Peak pourrait être un bon divertissement...
C'est alors que, très tôt dans le film, résonnent à l'oreille de la
jeune Edith Cushing ces quelques mots: « Prends garde à Crimson
Peak »
Romancière en devenir et rêveuse mais pas trop, la demoiselle campée
par Mia Wasikowska est hantée par le fantôme de sa défunte mère qui ne cesse de l'avertir au sujet de la nature de ce Pic Ecarlate qu’elle ne connaît guère.
Et pourtant, rapidement la passion s'en mêle, la garde est baissée et
Edith quittera tout pour vivre un amour naissant avec Thomas Sharpe (Tom
Hiddleston), un « baronnet » fauché, venu en Amérique en compagnie de
sa mystérieuse soeur Lucille (Jessica Chastain) vanter les mérites de son
extracteur d'argile dernier cri, une escroquerie parmi d'autres.
Mais l'idylle se poursuivra malgré tout jusqu'en Angleterre, au sein
du seul bien que possèdent les Sharpe: Allerdale Hall, un Manoir somptueux qui
tombe en décrépitude, une bâtisse qui s'enfonce dans l'argile rouge, un foyer
qui semble vivre, saigner et même se souvenir.
D'aucun lui prêtent le sinistre surnom
de...Crimson Peak.
Comment vous dire à quel point le dernier long
métrage de del Toro est visuellement à tomber? Empruntant aux styles baroque
et gothique, le cinéaste mexicain confère à son œuvre une esthétique
irréprochable de bout en bout, que ce soit au niveau des décors, des costumes
ou de la photographie, Crimson Peak est un modèle de direction artistique et
c’est un régal de ressentir la caméra se balader dans des décors réels à
l’ère du tout numérique.
Mais cette beauté artistique masque-t-elle
comme trop souvent la vacuité d’un propos survendu? Non, pas cette fois !
Même
si le film est prévisible, il n’en demeure pas moins bien raconté puisque le
metteur en scène mélange ses influences avec brio pour servir son intrigue
romantico-gothique et lui conférer une indéniable portée dramatique.
Ainsi, on
retrouve les codes d’une romance qui rappelle tour à tour Les Hauts de
Hurlevent d’Emily Brontë et les classiques de Jane Austen, d’ailleurs
explicitement mentionnée dans Crimson Peak (l’héroïne lui préfèrant Mary
Shelley, auteure de Frankenstein!), des codes qui sont cependant transcendés par l’atmosphère très
particulière du long métrage, jonglant entre scènes gores et poésie visuelle
digne du cinéma muet.
Qu’en est-il justement de la dimension
horrifique du dernier opus de del Toro ?
Comme toujours, le réalisateur latino déclare
sa flamme aux monstres, aux esprits et autres ectoplasmes (utiliser le mot
Spectre actuellement prêterait à confusion) et si l’œuvre est vendue comme un
film d’horreur, nous entrons plutôt ici dans un univers fantastique à tendance
glauque, qui saura séduire les amateurs de « maisons hantées » et de
friandises gothiques comme a su nous en livrer le Tim Burton de la belle époque
(citons à tout hasard son Sleepy Hollow).
Quelques sursauts sur votre siège
sont au programme mais la peur ne remportera certainement pas la mise sur la
mélancolie et le romantisme de l’ensemble.
Un romantisme d’ailleurs souvent juste mais
parfois un poil guimauve, pas aidé par le peu de charisme de Mia Wasikowska qui
se fait dévorer toute crue par les imposants Tom Hiddleston et Jessica
Chastain.
L’ingénue au visage de porcelaine remplit sa part du travail mais n’a
pas (encore?) les épaules pour s’élever au rang de grande actrice et ne
suscite pas autant d’empathie qu’elle le devrait, malgré une prestation tout à
fait correcte.
Il faut bien admettre que les dialogues auraient par endroits gagnés à
être plus solides, moins naïfs et maladroits pour appuyer l’aura de son frêle
personnage mais heureusement la fascination que suscite la fratrie Sharpe nous
captive du début à la fin du voyage.
Déclaration d’amour à un genre quelque peu délaissé,
expérience visuelle digne de l’art pictural, Crimson Peak est un très bon film
qui déroutera sans doute les fans de Guillermo del Toro s’attendant à une pépite pleine de surprises et de folie créative.
Qu’importe, le bonhomme
nous livre une œuvre linéaire mais narrée avec efficacité, une histoire
« non pas de fantômes mais avec des fantômes » qui prouve que son
créateur est capable de canaliser son énergie d’artiste farfelu pour nous offrir un
film mature, immanquable pour les passionnés de fantastique en mal de décors
réels et organiques.
Note : 8/10
Conseillé...
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Déconseillé...
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- Aux amateurs de films fantastiques "à l'ancienne".
- A ceux qui sont en manque de romance gothique.
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- A ceux qui s'attendent à un pur film d'horreur.
- A ceux qui détestent les films d'époque, le langage châtié et les costumes baroques.
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